Antonio Conte est un personnage clivant. Et il n’a pas attendu 51 ans pour le devenir. De sa façon de voir le football à sa personnalité, il ne laisse jamais indifférent. Alors, lorsque je suis tombé, par hasard, sur ce livre, je l’ai pris sans réfléchir. La méthode Conte et ce surtitre : Dans le vestiaire : A la découverte des secrets que personne n’a jamais raconté.
En plus, l’auteur n’est pas à son coup d’essai littéraire. Alessandro Alciato, journaliste à Sky Sport, a notamment écrit Preferisco la coppa (Rizzoli, 2009), avec Carlo Ancelotti, Penso quindi gioco (Mondadori, 2013), avec Andrea Pirlo ou encore La nostra bambina (Rizzoli, 2016), avec Fabio Cannavaro. Cette fois, le livre est sans le sujet principal. Il s’agit d’une analyse à partir des souvenirs de l’auteur vécus au contact de Conte et des nombreux témoignages de dirigeants, joueurs et journalistes ayant vécu l’entraîneur intensément.
Car, tout le monde le sait, Conte est à prendre comme il est, sans compromis possible. La famille Zhang, propriétaire de l’Inter, le savait avant de lui offrir en juin 2019 un contrat en or de trois ans (à 12 millions d’euros annuels) pour guider le projet nerazzurro. D’autant que Giuseppe Marotta, ancien complice bianconero de Conte, était déjà en place à la direction sportive au moment de choisir le successeur de Spalletti pour passer un cap.

Antonio Conte n’a jamais accepté que les dirigeants s’immiscent dans ses choix ou reviennent en arrière sur des promesses données, n’a jamais laissé un joueur prendre ses distances avec le projet. L’ancien milieu est un commandant qui impose sa vision et préfère mourir avec ses idées ou s’en aller que se renier.
Un exemple? Arturo Vidal fut le joueur l’ayant fait évoluer du 4-2-4 de ses débuts au 3-5-2. Il était intransférable à la Juve, il l’a voulu dès son arrivée à l’Inter et l’a obtenu lors de l’été 2020. Malgré des prestations décevantes et des erreurs pesantes (surtout en Ligue des Champions), le technicien soutien son soldat. Au contraire, Christian Eriksen n’est pas entré dans sa philosophie, a eu deux, trois phrases publiques polémiques et se trouve à l’écart, à jouer les utilités.
Le Chilien avait tweeté le 31 août 2015 : « Si je devais aller à la guerre, je porterais Conte avec moi. Bon anniversaire Mister ». Un message figurant avant l’introduction du livre. Alessandro Alciato est d’ailleurs honnête dès les premières lignes introductives. « Je me dénonce d’entrée, à moi, Conte plait. » Mais le livre n’est pas (trop) complaisant pour autant. Le lire en ce début d’année 2021, cinq ans après sa sortie, a eu une résonance sur l’actualité.
Les déclarations récentes de l’entraîneur de l’Inter, signalant que « le club a décidé… a choisi » à propos du mercato hivernal interrogent sur son bien être dans un projet au ralenti financièrement. Surtout une fois le livre refermé et le sentiment renforcé d’un homme extrémiste dans ses idées. Déjà, après la finale perdue de Ligue Europa (3-2 contre Séville), en aout 2020, le technicien avait pris ses distances, laissant planer un doute sur sa permanence sur le banc nerazzurro. Un air de déjà-vu. Finalement, une longue réunion semblait avoir éloigné les nuages. Mercato limité (pertes financières liées au covid…) mais pas d’obligation de gagner. Pourquoi les critiques grandissantes et cette nouvelle sortie? L’Inter a quitté la scène européenne par la petite porte (4e place de son groupe, incapable de battre le Shakhtar Donetsk) mais est dans la course pour le scudetto. Si l’effectif et le rythme de l’Inter en font l’un des favoris, les résultats face aux autres grosses écuries interrogent sur la force mentale du groupe, qui a été rattrapé par Atalanta (1-1), Lazio (1-1) et Roma (2-2), a perdu contre Milan (1-2) et a battu en tremblant le Napoli (1-0). Le derby d’Italia contre la Juventus, ce dimanche 17 janvier, vaudra plus que trois points. Surtout pour les technicien, ancienne bandiera bianconera (13 saisons comme joueur : 5 scudetti, 1 Champions League… 3 saisons et 3 titres comme entraîneur) mais dont l’histoire d’amour s’est mal terminée. Comme toujours avec lui?
Buffon éphémère « ennemi intime »
Le premier chapitre du livre revient sur la préparation du dernier match de la saison 2013-2014 (et qui sera aussi le dernier de son aventure à la Juve). La veille, au centre sportif de Vinovo, Antonio Conte n’a qu’une idée en tête. Le titre assuré, il veut passer la barre des 100 points. Il trouve ses joueurs trop tranquilles, insiste lors d’une séance vidéo avant d’affronter Cagliari. Et là, Gianluigi Buffon arrive en retard, parce qu’il faisait le point avec le directeur sportif Marotta sur les primes d’équipe. Une raison ayant fait exploser l’entraîneur. « Vous me faites ch… Et maintenant, sortez, je ne veux plus vous voir, j’ai dit dehors » et de lancer alors que Buffon a tenté un « mais, Mister », « Gigi, tais toi, de cette bouche il ne doit plus sortir un mot. Ne me le fais pas répéter. De toi, je ne me le serais jamais attendu. Les primes… Mais pensez donc, vous êtes des c… Gigi, tu es le capitaine et tu ne comprends rien de rien. Tu es une désillusion, une erreur dès que tu ouvres la bouche. Toi comme tous ces autres déficients. » Puis des « fuori », « vergogna ». Un épisode témoin, de scènes vécues dans chaque club, sur la rigueur extrême qui flirte avec la folie.
Buffon, son ancien coéquipier qui fut aussi son capitaine en sélection après, revient sur cet épisode dans le livre voyant « un stratagème pour que l’équipe donne le maximum (…) Mais à cet instant j’étais son plus intime ennemi. » Le lendemain, la Juve a gagné 3-0 et fini avec le record de points visé par Conte (102).
La Juve, son talon d’Achille
La suite avec sa Juventus sera un départ et des tensions. Conte a claqué la porte après le troisième scudetto de rang (le club a ajouté les six suivants). Il lui restait un an de contrat, le 19 mai 2014, alors qu’il est officiellement confirmé, il a demandé à être payé jusqu’au 30 juin, abandonnant le reste. Andrea Agnelli n’a pas réussi à le faire changer d’avis lors d’une réunion avec Marotta, Paratici et Nedved. Le divorce sera entériné le 14 juillet.
“On ne peut pas manger avec 10 euros dans un restaurant à 100 euros” avait glissé Conte lors d’un entretien à la Gazzetta dello Sport en mai. Le mercato n’était pas la seule divergence. Alciato détaille les motifs : L’entraîneur voulait une seule recrue : Cuadrado (arrivé finalement trois ans plus tard), ne souhaitait pas entendre parler de départ pour Pogba et Vidal. Mais il était aussi contre la tournée estivale en Indonésie, Australie et Singapour et était en guerre contre Claudio Albanese, chef de la communication du club (et proche d’Agnelli). Trop de divergences. Comme à Bari lorsque le président Mataresse lui a suggéré de passer à trois attaquants après la montée en Serie A au lieu de quatre, comme à l’Atalanta, à Sienne…
Lors de l’interview entérinant sa décision à Juventus Channel il a notamment lâché : « Qui a démontré et démontre être un vainqueur supporte très bien la fatigue et les pressions qui en résultent. »
Depuis ce départ, la Juventus « est son talon d’Achille ». Nommé sélectionneur en août 2014 (à commissaire technique, Conte insistait pour être appelé entraîneur de l’Italie), il verra les portes du centre d’entraîneur du club s’ouvrir en avant-dernier alors qu’il fait un tour des clubs de Serie A et qu’il vit toujours à Turin… Une guerre froide proche d’exploser en mars 2015. Lapo Elkann au détour d’une interview lâcha : « J’ai besoin de comprendre pourquoi en Nazionale les joueurs travaillent autant? » L’un des héritiers de la famille Agnelli a attaqué au moment où Marchisio, milieu bianconero, s’est blessé lors d’un entraînement à Coverciano. Conte a découvert cette phrase en interview avec Alciato avant le match contre la Bulgarie. Il est entré dans une colère noire, frappant les portes une fois la caméra éteinte. Sa réponse en conférence de presse fut plus posée : « Il n’a pas posé cette question lorsque j’étais à la Juve (…) Ce n’est pas moi qui les faits travailler trop, ce sont eux qui ne les font pas travailler assez. » Mais le sélectionneur est hors de lui, se sent « visé » avec » toujours la Juve au milieu ». Et le président de la Fédération Carlo Tavecchio de lui rappeler « mon ami… je ne veux les démissions de personne ».
D’autant que sa nomination comme sélectionneur fut compliquée à concrétiser. Le président de la FIGC a dû négocié longtemps avec cet homme qui « coûte tellement » (première réponse de Conte au téléphone) pour être le successeur de Prandelli au sortir d’un Mondial 2014 raté (élimination au 1er tour). Finalement, un montage construit par Giulia Mancini pour contenter tout le monde : 2 millions de salaire (1,5 de Prandelli plus 0,5 du coordinateur technique Sacchi parti avant) et 2 millions via 4 sponsors (contre les droits d’images du technicien, Puma fut le premier à signer). Deux ans plus tard, il n’y aura pas d’accord, malgré le souhait de Tavecchio de continuer avec lui. Après l’Euro 2016 convaincant, Conte s’est envolé comme prévu pour Chelsea.
A prendre ou à laisser
Le parcours en Nazionale aurait pu être entaché par un match ancien, revenu comme un boomerang lancé par le procureur de la république de Crémone. Conte avait été suspendu sportivement 4 mois pour ne pas avoir dénoncé la fraude du match AlbinoLeffe-Siena de mai 2011, dans le cadre du scandale de matchs truqués du Calcioscommesse de Serie B. Après la justice sportive, la justice ordinaire a frappé à la porte alors que l’Euro était en approche. Conte a tout fait pour qu’un procès ne vienne pas interférer la compétition et porter « la Nazionale dans le caos ». Il a envoyé un mémoire au procureur Roberto di Martino pour expliquer sa position, se défendre des rumeurs et mensonges visant celui qui était alors coach de Sienne. Il sera finalement acquitté en avril 2016.
La Nazionale comme un hôtel
Candreva et Giaccherini sont des exemples du joueur Conte-compatible, qui semble se sublimer au sein du schéma de jeu particulier … Matteo Darmian est un autre joueur que l’entraîneur apprécie depuis longtemps, adapté à son système et à sa mentalité. Il l’a eu en Squadra Azzurra, l’a voulu à Chelsea avant de le retrouver cette saison à l’Inter. Le piston se souvient du premier discours de Conte sélectionneur en septembre 2014: « En Nazionale, les portes sont tournantes comme dans un hôtel, on peut très vite retourner à la maison. » Et d’ajouter « N’oubliez jamais une choses, quand vous endossez la tunique de l’Italie, vous représentez un pays entier. Honorez-là, Honorez-le. »
Lui appliquera les mêmes méthodes, toujours à chercher la perfection. La vidéo est son outil préféré, qu’il utilise bien plus que la moyenne, mais il contrôle ses joueurs dans tous les domaines, dès le matin. « Quand des athlètes de haut niveau s’affrontent, la marge entre victoire et défaite est très petite. Donc, quand tout le reste est similaire, l’alimentation peut faire la différence entre victoire et défaite. » Un message sur la table des matières devant quatre tables pour le petit-déjeuner. Des inscriptions claires en gras, en majuscule, en rouge (protéines, gras, glucides dans les blocs conseillés), avec les combinaisons à faire. Comme sur le terrain, le schéma alimentaire est à suivre. Une rigueur qui se prolonge devant la presse. Conte est parfois agressif afin de défendre son équipe des jugements, des critiques des médias, des tifosi, des autres équipes.
En fait, le communiquant est comme le technicien selon Alessandro Vocarelli (directeur du Corriere dello Sport). « Un maestro de la tactique. Il étudie sa communication avec la même attention qu’il prépare une partie. Ses paroles sont les extérieurs, d’où part le jeu pour donner de la profondeur, de l’ampleur au discours. Les adjectifs sont les milieux qui servent à donner de la vigueur à un concept. Son fameux « agghiacciante » est l’adjectif symbole, l’homme de référence. Et puis, les décibels sont ses grands attaquants. »
A travers son parcours d’entraîneur, surtout la fin à la Juventus et comme sélectionneur de l’Italie, Alessandro Alciato a dressé en novembre 2015 le portrait d’un homme à part dans le microcosme du football circus (comme dirait Stéphane Guy). Un homme qui ne lâche jamais, qui est « à prendre ou à laisser » comme l’explique Vittorio Oreggia (ancien directeur de Tuttosport) dans un chapitre. Il doit toujours trouver un adversaire contre qui jouer, un ennemi contre qui combattre.
Mettre fin à la série de scudetti de la Juve – qu’il a entamée – à la guide de l’ennemi historique, l’Inter, aurait à n’en pas douter une saveur particulière pour Conte. « Il a un diable par cheveux et ceci n’est pas une boutade, conclut le journaliste. C’est son secret. Simplement le principe de sa méthode. »

Metodo Conte. Dentro lo spogliatoio: alla scoperta dei segreti che nessuno ha mai raccontato di Alessandro Alciato (Edition Vallardi, 2015)