« C’est Noël et sur les Navigli, comme dans le centre de Milan, on ne peut plus entrer dans les magasins : les maigres ou les gras salaires consentent à tous, une foule ingénieuse à la recherche d’un bonheur qui n’existe pas, ou du moins qui ne s’achète pas. Cette année, j’ai éteint les bougies; tout le monde m’a invité, mais cette nuit-là, je ne ferai rien de différent, rien que je ne fasse toujours, comme lorsque j’étais enfant; à la limite, on changeait de pièce, on allait de la chambre à la salle à manger pour voir si Jésus était arrivé, et pour manger le panettone, qui s’appelait alors « el pan de Toni »… »
Il suffit de lire ces quelques lignes de la poétesse Alda Merini dans Avvenire en 2006 pour comprendre le poids du panettone dans la tradition de Noël en Italie, particulièrement à Milan, sa ville d’origine.
Vous l’avez sans doute déjà croisé, peut-être même goûté. Il se trouve facilement à l’étranger. Le Pérou l’a même adopté toute l’année. Présentation.
Plusieurs histoires narrent la possible création de cette brioche. Ma préférée? Elles sont deux.
Le panettone serait nait d’une erreur, comme de nombreux plats (et pas que). Au XVe siècle Ludovico « Il Moro » Sforza organisa un repas pour les fêtes de Noël. Le cuisinier et son assistant « Toni » (le prénom est important) auraient fait bruler le dessert. Alors, à la hâte, Toni inventa une recette avec les ingrédients qu’ils avaient sous la main. Le duc et les invités furent conquis. Et le cuisinier, au moment de dire le nom de ce dolce lâcha « L’è ‘l pan del Toni». Le pain de Toni, da allora è il « pane de Toni », ossia il « panettone ».
Plus romantique, un noble milanais, Messer Ulivo degli Atellan, était amoureux d’Algisa, la fille d’un boulanger qui s’appelait « Toni ». Pour être proche d’elle, il se fit passer pour garçon de cuisine auprès du père qui l’embaucha. Et il inventa un dessert avec la meilleure farine du moulin, des oeufs, du beurre, du miel et des raisins secs. Le succès fut immédiat. Les deux jeunes amoureux se marièrent et vécurent heureux.
Ou alors, il s’agit juste d’un pain amélioré, créé au 13e siècle, comme cela se fait dans d’autres régions d’Italie et dans d’autres pays et qui a connu des évolutions? Qu’importe. Le panettone est devenu LE dessert de Noël symbole en Italie, même s’il est moins incontournable dans le sud et que ses cousins du nord le pandoro (sans garniture à l’intérieur) et la veneziana (avec glaçage mais sans raisins secs) tentent de lui voler la vedette sur certaines tables.
La truculente et spirituelle Luciana Littizzetto a écrit « Pandoro ou panettone? […] Une chose est certaine. Si vous choisissez le panettone, ensuite vous le mangez. Tout. «Eh, mais je n’aime pas les raisins secs et les fruits confits me rendent malade.» Voilà. Alors mange le pandoro. La vie ne nous réserve presque jamais des alternatives. C’est un cas rare, alors profites-en. »

Mais le panettone est bien le numéro un, consommé par 10 à 12 millions de familles italienne chaque année. Et si les supermarchés totalisent la majorité des 26 000 tonnes vendues, l’artisanat fait mieux que résister (109 des 209 millions d’euros générés en 2019, selon une étude CSMBakery et Nielsen).
Le groupe Negramaro l’a, lui, chanté dans Polvere : « Ce qui ressemblait à de l’amour n’était qu’une habitude vêtue de fruits confits et mûrs comme un panettone qui à Noël n’oublie pas qu’il finira bientôt. »
Il est artisanal ou industriel, sous toutes les formes, à tous les poids (de miniature à plusieurs kilos) et à tous les goûts. Comme pour le fromage ou la charcuterie, il a fallu légiférer pour le protéger. Un décret du ministère des politiques agricoles et des activités productives en 2005, a établi que le panettone est : « un produit de pâtisserie à pâte molle […] de forme ronde à croûte supérieure gercée et coupée de manière caractéristique ». Pour être appelé panettone, le gâteau doit contenir de la farine de blé, du sucre, des œufs, de la matière grasse, du levain naturel, du sel, des raisins secs et des écorces d’agrumes confits en quantité non inférieure à 20%. »
La créativité des pâtissiers n’avait pas attendu ce décret pour s’emparer de ce mets et le revisiter et encore aujourd’hui, l’appeler panettone malgré la présence de chocolat, cacao, caramel, ricotta, liqueur, pistache, citron, kiwi… sans parler des versions salées.
Concours et sospeso à Milan
Dès octobre, il pousse dans les vitrines pour s’installer partout en novembre. Il faudrait une vie pour tester tous les panettoni de Milan. Je ne ferai pas un classement, par respect pour les artisans que je ne connais pas. Marchesi, Martesana, La Primula, Pattini, Fusto, Cova, Baunilla, San Gregorio ou encore Princi sont, à ce jour, mes pâtisseries préférées.

Les initiatives sont nombreuses dans sa ville de naissance. Par exemple, le panettone day, un concours à l’automne pour élire les meilleurs « d’Italie » suivant différentes catégories (classique, créative, chocolat). Les finalistes sont en vente dans un magasin temporaire en centre-ville.
Le panettone sospeso, un dérivé du caffè sospeso de Naples. « Milan col coeur in man », dicton meneghino (Milan avec le coeur en main) pourrait être lemessage de cette initiative lancée en 2019 qui consiste à acheter un panettone et le laisser « suspendu » pour une personne n’ayant pas les moyens de s’offrir ce dessert pour les fêtes. En plus, cette année, l’artisan (14 ont adhéré, trois de plus que l’an dernier) ajoute un panettone au panier : « un geste d’amour avec les pieds sur terre » est le slogan.

L’an dernier 1 644 panettoni ont été offerts. Une hausse est attendue cet hiver. Ils seront distribués juste avant les fêtes alors que la « spesa sospesa » est aussi présente dans de nombreux supermarchés pour laisser des biens alimentaires, là aussi, « suspendus » pour qui en a besoin. La banque alimentaire « banco alimentario » de Milan et d’autres associations ont noté une forte hausse de l’affluence cette année, allant bien au-delà des sans-abris. Les files devant les centres, avec distance et masques, rappellent cette triste réalité, bien loin de l’affolement dans les rues pour acheter les cadeaux.
Et il n’y a pas de date limite. Le panettone, même artisanal, se conserve bien et se savoure réchauffé au petit déjeuner. Comme l’a écrit Fabio Volo, dans Il tempo che vorrei (2009), « Dopo Natale si mangiava panettone per settimane perché errano in offerta, tre al prezzo di uno (Après Noël, on mangeait du panettone pendant des semaines parce qu’ils étaient en offre, trois pour le prix d’un).
Trois bonnes raisons de céder à la tentation, surtout en cette année particulièrement rude émotionnellement, économiquement, sans parler de la santé. Comme l’a écrit Luciana Littizzetto, panettone ou pandoro : « Manger, dormir, rien de plus. »
Prenez soin de vous et de vos proches, même à distance.
Bon panettone, bonnes fêtes.
(1) È Natale e sui Navigli, come in centro a Milano, non si riesce più a entrare nei negozi: i magri o i lauti stipendi consentono a tutti una ressa ingenerosa alla ricerca di una felicità che non c’è, o che almeno non si compra. Io quest’anno ho spento le candele: tutti mi hanno invitato, ma quella notte non farò nulla di diverso, nulla che io non faccia sempre, proprio come quando ero bambina; al limite si cambiava stanza, si andava dalla camera al tinello per vedere se era arrivato Gesù, e per mangiare il panettone, che allora si chiamava “el pan de Toni”…