Ce dimanche 22 novembre, Sassuolo s’est retrouvé en tête de la Serie A. Ce fut bref : de 15 h 42 à 21h05 pour être précis. Ces quelques heures furent certes anecdotiques puisque seule l’équipe en tête du championnat à l’issue de la journée est considérée comme leader. Vainqueur à Naples (1-3), Milan l’était avant et le reste après cette 8e journée. Mais ce furent les premières heures passées au sommet, mêmes officieusement, donc un moment historique pour un club qui a découvert la Serie A en 2013. Voir Sassuolo invaincu après 8 journées de championnat, avec la meilleure attaque (20 buts, comme l’Inter) peut surprendre. Le calendrier n’a pas été démentiel jusqu’ici avec un seul gros, le Napoli, que Sassuolo a battu au San Paolo (0-2). D’ailleurs, l’équipe de De Zerbi a remporté ses 4 matches en déplacement en ce début de parcours. Le succès dimanche à Vérone, autre équipe révélation de ces derniers mois (0-2) fut un mélange de maîtrise et de réussite (4 poteaux pour les locaux). Un résumé de l’équipe qui séduit le plus en Italie depuis la reprise des compétitions en juin.
Sassuolo n’est pas un grand nom du calcio, avec ses 72 000 tifosi selon la dernière enquête StageUp/Ipsos (juin 2020). Ce n’est pas même pas une grande ville, connue comme la cité de la céramique. 40 000 habitants, le plus faible total de Serie A, mais assez proche des promus Benevento (60 000), Spezia (94000) et Crotone (64000). Sur le terrain, en revanche, les neroverdi sont à la hauteur des métropoles italiennes : Milan, Turin, Rome, Naples…
Présentation du club centenaire qui s’invite à la table des grands.
Une croissance contrôlée
Créé en 1920, le club de Sassuolo a connu des fusions, des changements de présidence, de couleurs, de noms, de divisions tout en restant dans les championnats régionaux, avec de brefs apparitions en Serie D ou C2. Il était d’ailleurs en Serie C2 au début du siècle, à lutter pour le maintien lorsque GiorgioSquinzi, patron de la Mapei a pris en mains le club. On est en 2002 et l’équipe cycliste à succès portant ce sponsor à 5 lettres vient d’être dissoute. Le dopage avait eu raison de la passion de Giorgio Squinzi, qui continuera ses balades le dimanche avec ses amis et à escalader le Stelvio. Giorgio est le fils de Rodolfo, qui a créé la société à Milan en 1937. Mapei est devenu un leader mondial dans la production d’adhésifs et de produits chimiques pour la construction, avec 2,8 milliards de chiffre d’affaires et plus de 10 000 employés.
Giorgio, passionné de sport (mais aussi d’art contemporain et musique lyrique), s’est tourné vers le football et Sassuolo que sa société sponsorisait depuis des années. Il voulait bâtir, laisser une trace, pas seulement mettre en avant le nom. Malgré ce soutien riche et prestigieux, Sassuolo n’a pas grillé les étapes. Il a dû attendre 2008 pour conquérir le championnat de Serie C avec Max Allegri sur le banc. Son premier titre d’entraîneur, lui ayant ouvert les portes de Cagliari (Serie A), avant le scudetto avec Milan (2011). Stefano Pioli a passé la saison 2009/2010 à Sassuolo (4e place), mais c’est Eusebio Di Francesco qui a fait franchir la marche suivante en obtenant le titre de Serie B en 2013 et donc une montée historique en Serie A. Il a installé le club dans l’élite, malgré un renvoi en janvier de la première saison et un rappel 5 matches plus tard (5 défaites pour Alberto Malesani). Le maintien est finalement obtenu avant la dernière journée.
La Mapei a mis les moyens
Mapei a doté le club de structures pour accompagner les montées sur le rectangle vert. En 2013, la société a racheté le stade de Reggio-Emilia, construit en 1994 par la Reggiana, le club de la ville (premier cas de stade de propriété d’un club en Italie), qui a enchaîné les déboires financiers durant les années 2000. En 2013, Giorgio Squinzi a acquis l’enceinte pour 850 000 euros, l’a rebaptisé Mapei Stadium – città del Tricolore et a ainsi offert à son Sassuolo un édifice aux normes pour célébrer l’accession à la Serie A (il a été joliment restructuré avec une jauge de 24 000 places). Car l’équipe jouait à Modène depuis 2008 et l’arrivée en Serie B après tant d’années à Sassuolo. Mais le stadio Enzo Ricci n’était pas aux normes du professionnalisme. L’équipe a continué à s’y entraîner jusqu’à l’été 2019 et l’inauguration du centro sportivo Mapei Football Center qui regroupe les pros et les jeunes à Cà Marta (12 millions d’euros de travaux), en périphérie de Sassuolo. Du foncier, des lignes de crédit régulièrement ouvertes et la publicité. Le nom de la société s’affiche partout, stade, centre d’entraînement et bien sûr en gros sur les poitrines des joueurs. Au total, le contrat de sponsoring est de 18 millions d’euros par an, comparable à ce que touche la Juventus et plus que tous les autres gros de Serie A. 5 millions de recettes publicitaires viennent s’ajouter au chèque total de la Mapei (23 millions par saison selon Calcio e finanza), ce qui représente près du tiers des revenus du club sur les derniers exercices.
Entre 2010 et 2019, Mapei a ainsi investi 270 millions à Sassuolo, dont 200 millions sous forme de contrats commerciaux a détaillé la Gazzetta dello Sport en juillet.Recettes et résultat net de Sassuolo (données Gazzetta dello Sport)

Giorgio Squinzi est décédé en octobre 2019 (à 76 ans) mais ses enfants ont confirmé l’engagement auprès du club et la confiance en l’administrateur délégué (et architecte du projet sportif) Giovanni Carnevali alors que l’historique président Carlo Rossi (et ami de Squinzi) est toujours en place.
Peu avant sa mort, Squinzi, homme discret, avait rappelé: “Les propriétaires chinois ne peuvent pas avoir le même attachement que les grands hommes du sports comme Moratti, Berlusconi ou Viola.”
Quant à l’hymne du club « Neroverdi », il a été composé en 2013 par Nek, artiste pop-rock qui approche des 30 ans de carrière et qui est né à Sassuolo.
Un effectif dessiné par et pour De Zerbi
Sassuolo en Europe la saison prochaine? Ce ne serait pas inédit. Sixième de Serie A en 2016, l’équipe, encore guidée par Di Francesco, avait obtenu une place en tour préliminaire d’Europa League et avait passé les deux obstacles. La phase de groupes fut plus difficile (4e, 5pts) et la saison en championnat anonyme (12e en 2017). Di Francesco partît pour la Roma. Après une saison neutre avec deux coachs (Bucchi puis Iacchini), Roberto De Zerbi fut intronisé. Un pari car le jeune technicien – qui fut un honnête joueur de Serie B et C, avec aussi un passage à Cluj – avait été brièvement vu en Serie A à Palermo (12 matches dont 9 défaites à l’automne 2016) puis à Benevento, qu’il n’avait pas sauvé malgré un impact reconnu sur le jeu (2017-2018). Il a trouvé en Emilie-Romagne le cadre parfait pour déployer ses idées de jeu ambitieuses et sa philosophie de travail, comme il l’a expliqué dans un excellent entretien au magazine Caviar (retrouvez le podcast calcio espresso avec Jules Grange-Gastinel qui l’a interviewé).
Il n’y a pas de stars, l’effectif est construit sans faire de folies et en profitant des plus-values chaque saison : Zaza (15 millions d’euros), Defrel (14), Sansone et Vrsaljko. (10), Lorenzo Pellegrini (9), ou encore Politano (19) et Demiral (12). Des ventes qui permettent d’acheter et d’augmenter sagement les salaires. Les club a la 13e masse salariale du championnat (35 millions d’euros annuels selon la Gazzetta dello Sport avec comme record 1,5 million pour le vice-capitaine Domenico Berardi).
Sassuolo compte actuellement 4 joueurs dans le groupe (large) de la Nazionale parce qu’il a su aller les chercher et les faire grandir. Buteur régulier, Caputo (33 ans) est devenu le 3e attaquant dans la hiérarchie de Mancini, mais il était à Empoli il y a moins de 2 ans. Manuel Locatelli (22 ans), acheté au Milan en juillet 2019 pour 12 millions, a explosé sous les ordres de De Zerbi et a remplacé admirablement Verratti au milieu lors des matches de novembre en Azzurro. Il vaut actuellement au moins 40 millions d’euros et tous les grands clubs le scrutent. Sur Twitter, l’ancien milieu Claudio Marchisio, en répondant à une question de Paolo Del Vecchio, l’a qualifié de « certitude pour cette Nazionale » et espéré « qu’un gros club italien croît en lui pour le step définitif ».
Et Berardi enchaîne enfin après quelques ralentissements. L’enfant du club est le meilleur buteur de la Squadra Azzurra en 2020 avec 3 réalisations, devenant un candidat crédible au poste d’ailier droit titulaire en vue de l’Euro. Lui aussi à le profil pour rejoindre un grand club.
Le défenseur Gian Marco Ferrari a profité des blessures pour lui aussi revenir dans le groupe en novembre après 2 ans sans convocation (0 sélection).

Le 15 novembre, la Nazionale a joué à Reggio Emilia et battu la Pologne (2-0) avec Locatelli titulaire, Berardi en remplaçant buteur, Ferrari sur le banc alors que Caputo avait dû renoncer au rassemblement sur blessure. Le matin, une cérémonie devant le stade avait été organisée avec les trois joueurs (mais aussi Bonucci, Magnanelli, Gravina président de la FIGC). L’avenue d’entrée s’appelle désormais Giorgio Squinzi et de la cour principale Adriana Brusholi, épouse du défunt patron et qui était grande fan neroverde.Berardi et Locatelli sous le maillot de la Nazionale le 15 novembre à Reggio-Emilia.
L’équipe actuelle de Sassuolo a également l’accent francophone. Arrivé en 2018, Jérémie Boga a trouvé de la stabilité après des années à enchaîner les prêts via Chelsea. 11 buts la saison passée pour l’international ivoirien. Maxime Lopez vient de s’engager en prêt – convaincu par le technicien – et s’est déjà installé dans le coeur du jeu à côté de Locatelli dans le 4-2-3-1. L’attaquant Grégoire Defrel est revenu et apporte son expérience dans la rotation offensive. Sans oublier au milieu le franco-marocain Mehdi Bourabia et le jeune ivoirien Hamed Junior Traorè (révélation à Empoli la saison passée). L’effectif s’est ainsi construit au fil des années, sans faire de bruit. Marlon, Muldur, Ayhan, Romagna sont d’autres recrutements d’avenir. Alors que l’attaquant Raspadori, formé au club, pousse à la porte et que le capitaine Francesco Magnanelli, au club depuis 2005, est toujours là.

Sassuolo a le 9e effectif en terme de valeur marchande selon Transfertmarkt.
Et maintenant?
Dimanche, Roberto De Zerbi a freiné l’enthousiasme des médias italiens en refusant de voir son équipe être citée comme candidate au titre : « lI faut faire les gens sérieux. Il y a d’autres équipes qui ont bien plus que nous, à tous points de vue, en ce qui concerne le Scudetto. » La marche est en effet encore très haute pour faire une Hellas Verona (1985) ou une Sampdoria (1991), titrés pour la première et seule fois. La surprise serait encore plus grosse. En revanche, dès le début de saison, il n’écartait pas de ramener Sassuolo sur la scène européenne, alors qu’il a fini 11e et 8e lors de ses deux premières saisons en nero verde et qu’il sera en fin de contrat en juin 2021.
« Je n’ai pas peur de me fïxer des objectifs difficilement atteignables. On peut espérer se qualifier pour une coupe d’Europe », confiait-il à Caviar. Comme le fait de vouloir « entraîner un club parmi les plus grands cadors européens. Mais ce que je souhaite par-dessus tout, c’est le rejoindre en conservant ma philosophie de jeu intacte. Partir pour partir, ce n’est clairement pas pour moi.”
Une philosophie qui sera mise à rudes épreuves lors des prochaines semaines, alors que les éloges pleuvent actuellement sur lui et ses joueurs. La réception de l’Inter (28 novembre) suivi du déplacement chez l’As Roma (6 décembre) donneront des indications, comme l’accueil de l’(AC Milan (20 décembre), sur les capacités de Sassuolo à se mêler ou non à la lutte pour les places européennes. Et puis il y aura des voyages début 2021 chez l’Atalanta (3 janvier), la Juventus (10 janvier) et la Lazio (24 janvier) pour clore la phase aller. Autant d’occasions d’écrire de nouvelles pages de cette histoire atypique.
Carlo Pecchi administrateur de la Mapei a glissé dans un entretien que le docteur Squinzi avait fait grandir Sassuolo “depuis la Serie C2 à la Serie A et l’Europa League avec l’espoir d’arriver un jour où l’autre en Ligue des Champions”. Ce jour n’est peut être pas si loin…