Contro il calcio moderno : un réquisitoire pour le football populaire

186 pages résumées en quatre mots. Pierluigi Spagnolo, journaliste à la Gazzetta dello sport (après avoir exercé au Corriere della Sera notamment) a choisi d’aller frontalement contre le football moderne. 

Spécialiste des Curve italiennes depuis plus de 20 ans (il a écrit I ribelli degli stadi, les rebelles des stades en 2017), le journaliste propose un réquisitoire contre l’évolution du football. S’il s’appuie sur l’Italie, il ouvre les yeux sur les voisins européens pour démontrer que tous les pays suivent la même trajectoire. Une trajectoire qui mène à la perte de la passion. Avant le reste? Spagnolo rappelle d’entrée et à la fin que « le football n’est rien sans tifosi », citant le célèbre manager écossais Jock Stein (football without the fans is nothing).

Nous vivons actuellement par l’extrême cette situation. La pandémie de Covid-19 a obligé les ligues et les fédérations à s’adapter pour continuer à jouer. Des matches dans des stades vides, ou presque, un peu partout depuis des mois. Les groupes ultras étaient d’ailleurs majoritairement contre la reprise des compétitions à huis clos en mai/juin. Mais avant, les supporters avaient déjà été mis à rude épreuve. Quelques faits tragiques dans les années 80 et 90 ont « facilité » le mouvement pour « nettoyer » les stades en Angleterre puis ailleurs. Une normalisation sans cesse recherchée face aux actes de racisme et aux débordements de violence. Le tifoso est devenu « l’ennemi public numéro 1 » selon l’auteur qui rappelle que le stade n’est qu’un reflet de la société. Un microcosme, vu à la loupe, avec des excès à condamner mais de là à presque tout rejeter, bannir.

Du supporter au consommateur

Ainsi, le prix du billet est en hausse perpétuelle alors que les nouveaux stades ont des capacités réduites. Simple stratégie de l’offre et de la demande pour remplir l’enceinte avec un public sélectionné. Des « flâneurs », qui viennent vivre une émotion et non plus supporter leur équipe. La Juventus dès 2011 a initié le mouvement en Italie avec son « Stadium » de propriété et limité à 41000 places. L’Inter et Milan veulent aussi leur stade multi-fonctions avec 60 000 places pour 2024 (mais la mairie conserverait la propriété). 1,3 milliard d’euros  d’investissement (50/50 entre les deux clubs) à coté de l’actuel San Siro pour une rentabilité espérée sur trente ans. Plus modestes, Udinese et Atalanta ont racheté et modernisé le stade, mais dans l’ensemble, l’Italie est en retard sur ce processus et « souffre » de stades communaux et vieux. 

Aujourd’hui, le prix moyen du billet est de 69 euros en Serie A, comparable à l’Espagne (70) et l’Angleterre (74). La France (37) et l’Allemagne (32) sont plus raisonnables et ont conservé des règles pour les prix des places visiteurs. En Italie, ces derniers mois, le mouvement des tifosi c’était durci sur plusieurs points. Il peut des parcages vides alors que 50, 60, 70 euros étaient demandés par le club receveur pour un billet. Loin de l’époque où le billet de métro et de stade étaient  comparables…

Message des Ultras de Lecce la saison passée

Conséquence, la courbe des affluences s’est effritée. Après des années 1970/1980 à 35 000 spectateurs de moyenne par match, la Serie A a commencé à perdre du monde dans les années 90, pour arriver à 19 307 spectateurs de moyenne en 2006-2007, alors que les Azzurri étaient tous justes champions du monde mais que le calciopoli avait fait des dégâts sportivement (Juventus en Serie B) et sur l’image du football italien. De 22 200 en 2016/2017, la moyenne est progressivement remontée à 26 000 la saison passée (jusqu’en mars), la preuve que la stratégie moderne  n’est pas inefficace pour conserver une bonne base de public, même si le championnat italien est devancé par les trois autres gros en termes d’affluence et même par la Ligue 1 en taux de remplissage.

Du stade à la télévision

Hausse des prix, tri des supporters pour contenir les « Brigate » et autres groupes nés dans les années 70 mais aussi et surtout l’effet de la télévision. La messe du calcio le dimanche à 15 heures a progressivement disparu. En 1993, Tele+ (lancé en 1990 par des entrepreneurs dont Berlusconi avec Canal+ comme actionnaire majoritaire, avant d’être absorbé par Sky Italia en 2003) a trouvé un accord avec la Lega pour diffuser un match par journée (1,2 milliard de lire par partie, soit 600 000 euros), programmé le dimanche soir. Lazio-Foggia le 29 août 1993 fut le premier match payant de Serie A, devancé en absolu par Monza-Padova, Serie B, la veille. Le pied était mis dans la porte. Saison après saison, la télévision s’est installée dans le paysage  et a imposé ses choix. Les droits TV pèsent pour 59% des recettes (1,4 milliard d’euros) des clubs de Serie A (saison 2019-2020), le championnat le plus dépendant avec l’Anglais.

Alors, les matches sont avancés au vendredi soir, repoussés au lundi. On programme un derby della Madonnina à 12h30 pour le public asiatique, comme l’a fait le Clasico en Espagne. Les grilles tv ont pris le dessus sur le sportif, ne respectant plus l’équité des matches des dernières journées en simultané, quitte à voir des parties de Coppa d’Italia un mardi à 14 heures, pour qu’il soit diffusé sur la Rai, dans un stade bien creux… Et encore, le service public continue de proposer du football professionnel, en plus des sélections. Et Mediaset diffuse une affiche de Ligue des Champions par tour en gratuit. 

Adriano Galliani (ex administrateur délégué de l’AC Milan) en 2006 dans un entretien à Affari e finanza avait expliqué :

« Quand on a acquis le club en 1986, la billetterie représentait 90% des recettes. Aujourd’hui, le mix’ est 60% des droits TV, 25% les sponsors et 15% la billetterie. Les 85% sont à conquérir comme n’importe quelle autre entreprise ». 

D’où les frontières repoussées, littéralement, pour conquérir de nouveaux consommateurs avec les rencontres à l’étranger. L’Italie avait ouvert la voie dès 1993 avec la Super Coppa délocalisée aux Etats-Unis avant de revenir au pays. trop tôt. Depuis quelques années, la question n’est plus si le match entre le champion de Serie A et le vainqueur de la Coppa sera délocalisé mais où. Après la Chine, le Qatar ou la Libye, c’est actuellement en Arabie Saoudite pour 7 millions par saison (et tant pis pour les droits des femmes). Avant des rencontres de championnat? La Serie A, comme la Liga ou la Premier League ont déjà avancé le projet…

La Lega s’est lancée dans la création d’une société « media company » dont 10% seraient vendus à des fonds privés (CVC Capital Partners est en négociation exclusive). La Formule 1 avait ouvert ce créneau avec succès, d’autres sports suivent l’exemple. 

Autre effet du football moderne, le maillot. Ce symbole qui unit sous les mêmes couleurs les amoureux d’un même club, perd de sa splendeur. Ils sont barrés de sponsors (50 en Serie A la saison passée pour 116 millions d’euros) aux couleurs et motifs toujours plus originaux et aux prix en hausse. Sans parler des numéros de maillots jusqu’au 99, des transferts à profusion pour équilibrer les comptes, faire vivre le milieu et qui ont rendu la « bandiera » en voie de disparition…

Le constat est sans appel, le tifoso est devenu un client. Il doit payer sa place, son maillot, consommer le jour du match et pas seulement. Et tant pis, si l’ambiance au stade est froide, ce qui rend pourtant le spectacle télévisuel moins plaisant (il doit d’ailleurs aussi s’abonner aux différentes chaînes pour suivre son équipe). On ne peut pas tout avoir. Le football a choisi l’argent à la passion. Et le projet de SuperChampions évoqué par Spagnolo dans la dernière partie va en ce sens. Depuis des années, les gros clubs laissent planer cette menace d’une ligue semi-fermée. Seulement des grosses affiches, dans des stades modernes et remplis de spectateurs, diffusés exclusivement par les télévisions payantes ou les GAFA. A toujours chercher davantage d’argent, à faire grossir la bulle, le football se coupe de ses racines populaires, qui en ont fait le sport roi. Pierluigi Spagnolo le rappelle avec des faits, citations et chiffres cruellement implacables, même si une thèse opposée, faisant l’apologie de la modernité du football est tout à fait louable et respectable. 

Pour être honnête, après avoir fermé le livre, j’ai écrit ces quelques lignes loin des matches de la Ligue des Nations. Une nouvelle compétition, sans histoire ni saveur, venue remplacer les parties amicales et surcharger le calendrier de matches officiels pour donner davantage de visibilité et de bénéfices (financiers) aux équipes nationales. Le football de sélection est une victime du football moderne qui tourne autour des clubs. Alors, tout est fait pour sauvegarder son bout de territoire, quitte à faire voyager et mélanger des joueurs alors qu’un virus circule toujours et oblige les gouvernements européens à réinstaller des confinements. Déjà, l’été dernier, on a repoussé d’un an l’Euro pour finir les championnats nationaux et les Coupes d’Europe, alors que des milliards d’euros de droits tv étaient menacés en cas de non reprise de ces compétitions. Cela fut le cas pour celles qui le souhaitait avant d’enchaîner directement sur une nouvelle saison, sans vacances ou presque pour les joueurs soumis aux tampons plusieurs fois par semaine, en isolement lorsqu’un coéquipier est positif. The show must go on. C’est le football moderne…

Contro il calcio moderno, de Pierluigi Spagnolo, édition Odoya.

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